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Aneudémonie

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Publié dans La Lettre du GCCG

L’aneudémonie Ne cherchez pas dans un dictionnaire, ce mot n’y figure pas (encore).

Êtes-vous parfois, souvent, régulièrement agacé par ces personnes qui vous abreuvent de leurs lamentations sur leur situation, celle du monde, et souvent aussi, de la météo ? Vous arrive-t-il d’écouter patiemment la liste de leurs problèmes, et dans le même temps d’être frappé par leur vision aporétique de leur situation ? Je parle de ces personnes qui sont incapables de faire un point objectif de contexte, ne voient que « ce qui ne va pas », « ce qu’elles n’ont pas », sans jamais prendre conscience ou accorder la moindre valeur à « ce qu’elles ont », « ce qui va bien », et plus généralement ce qui leur permettrait de développer une vision constructive et, disonsle, satisfaisante de leur vie.

Je parle de ces personnes qui transforment toute inquiétude en angoisse, toute difficulté en « problème », toute égratignure en plaie béante, et qui ne savent qu’imaginer le pire, et tout ce qui ira de guingois… Ces personnes sont victimes d’aneudémonie, du grec « eudémon », le bonheur, précédé du privatif « an », l’incapacité au bonheur.

Elles compensent l’absence apparente de bonheur dans le présent par une nostalgie souvent galopante, qui croît avec l’âge, puisque pour elles, le présent est toujours détestable, et l’avenir menaçant.

L’aneudémonie va jusqu’à ne pas pouvoir apprécier simplement un moment de satisfaction, car elle est vécue comme un leurre destiné à donner encore plus de regrets lorsqu’elle s’envolera sous l’effet des malheurs qui ne tarderont pas à s’imposer.

En milieu professionnel comme en milieu personnel, cette « maladie » fait des ravages, car c’est bien une maladie, comme l’hypocondrie ; la simple suggestion d’un bonheur possible enclenche une série d’arguments jusqu’aux plus improbables, énoncés avec autant de vigueur que de hantise.

L’aneudémonie s’accompagne de l’incapacité à se réjouir, sauf parfois de l’arrivée d’un malheur comme preuve absolue de son fondement, selon le même schéma de pensée qui érode la vie des paranoïaques, toujours persuadés qu’on leur en veut et qui sont rassurés par leurs déboires ou de toute agression les concernant.

Bien sûr, elle autorise l’épicaricacie (propension à se réjouir des malheurs des autres (XVIIe siècle)), comme juste réaction face à ceux qui croyaient en leur bonheur et l’on vu être mis à l’épreuve de quelques difficultés… Lorsque l’incapacité au bonheur est totale, elle peut évoluer vers ce que l’on appellera alors l’eudémonophobie, ou peur phobique du bonheur faisant s’incruster dans le malheur ceux qui en sont atteints.

L’incapacité au bonheur est terrible de conséquences, car d’une part elle empêche ses souffrants d’être heureux, et elle se répercute sur l’entourage.

En milieu professionnel et au plan personnel, elle entretient une contextualisation négative permanente, drainant le moral vers le bas, occultant tout élément « positif » ou « réjouissant », sauf à n’en voir que l’éphémérité.

Comment n’être pas affligé par celles et ceux qui, non seulement ne peuvent voir ce qui pourrait être constitutif d’un vrai bonheur, mais en outre dénaturent ces éléments pour en faire source de mal-être ou d’insatisfaction ? Une étude publiée cette semaine (Capital.fr) indique que les Français sont « les Européens les moins motivés » pour se rendre au travail et une fois sur place pour « travailler », bien après les Allemands, les Anglais, les Espagnols et les Italiens.

L’aneudémonie a bien sûr une relation directe avec la motivation, car paradoxalement, l’incapacité au bonheur joue sur un facteur essentiel, l’utilité perçue de ce que l’on a à faire, et moins l’on pense que « cela sera utile », moins on est motivé pour le faire.

L’aneudémonie s’accompagne donc d’aquoibonisme, et tire un peu plus chaque jour vers le bas ceux qui en sont atteints, leur faisant nous dire avec une pointe de sarcasme dans la voix, que le positivisme est risible, issu de la méthode Coué, et qu’il est de l’Angélisme.

L’aneudémoniaque, celui qui est touché par le « virus » de l’incapacité au bonheur ne se rend pas compte de son état, ce que l’on appelle en psychologie clinique de l’anosognosie, allant, au-delà de l’ignorance de sa maladie jusqu’à sa négation farouche.

Il vous dit, en vous regardant droit dans les yeux, qu’il a bien raison d’être pessimiste et négatif, car dit-il, il a de bonnes raisons de l’être.

Que cela soit la malveillance de certains, l’incompétence d’autres, la situation générale ou une situation particulière, un historique, un « problème », récent ou ancien… Il lui échappe que l’on peut avoir autant de raison d’être heureux que de raisons d’être malheureux, et que ce qui fait le malheur est la focalisation « sur ce qui ne va pas » et sur les causes de cet état de fait, au lieu de la recherche de solutions et de perspectives, permettant de sortir la tête du trou… Deux autruches sont poursuivies par deux mâles.

A bout de souffle, elles s’arrêtent et plantent leur tête dans le sable, la prétendue stratégie de camouflage préférée de cette espèce.

Les mâles s’arrêtent à leur tour, et l’un dit « mais où sont-elles passées ? » « Le monde semble sombre quand on a les yeux fermés.

» Proverbe indien Très cordialement, Gdc