Groupe Gérard Carton
La passion des solutions

Interview de Madame Christine JACGLIN, Directrice générale du Crédit Coopératif, affilié du Groupe BPCE.

Le Groupe Gérard Carton vous propose tous types de lectures, longues ou brèves, souvent teintées d'humour mais toujours sérieuses...

Quels grands principes guident vos orientations et décisions ?


La cohérence avec l’éthique des affaires est sûrement le premier grand principe que j’applique et ai toujours appliqué. Le second est de s’inscrire dans la vision de développement et de pérennisation de l’entreprise. Pour cela, je fixe des ambitions élevées, en donnant les moyens de les réaliser. Je sors régulièrement de l’Entreprise et je vais à la rencontre du monde, de ses évolutions, de ses innovations. Complémentairement, je reste en contact avec les jeunes, et m’efforce d’en inclure systématiquement dans l’entourage professionnel proche.

Quelles qualités doit cultiver une dirigeante et sur quelles compétences s’appuyer ?


Je crains que les qualités que j’estime fondamentales apparaissent aujourd’hui comme « ringardes » ou « ressassées » . Le courage est celle qui me vient en premier à l’esprit. Il faut du courage pour devenir Dirigeant et encore plus pour le rester : Courage dans la gestion des difficultés, courage dans la gestion des situations et des interfaces, courage dans les batailles que l’on doit mener autant en interne qu’en externe.
Mais le courage ne vaut rien sans humanité, sans exemplarité, et sans détermination. Il faut avoir le courage d’aller jusqu’au bout et pour respecter, toujours, ses grands principes. Les bonnes idées ne valent que par leur mise en œuvre, et les principes par leur respect lorsque cela est difficile.

Pour ce qui est des compétences, j’en vois quatre, essentielles :

1. Savoir apprendre, bien et vite.
2. Avoir connaissance de toutes les formes possibles d’organisation et de fonctionnement optimal des Entreprises, sans dogmatisme.
3. Avoir une bonne dose de psychologie et être notamment capable d’identifier rapidement la sincérité et la loyauté de nos interlocuteurs.
4. Connaître l’essentiel du métier que l’on exerce. Je ne crois pas qu’un dirigeant puisse être efficace s’il méconnaît le cœur de métier de son entreprise.


Quelles sont vos grandes priorités et qu’attendez-vous de vos collaborateurs directs ?


J’en ai quatre en tête, de façon permanente :

1. Assurer le meilleur service à nos clients, gage de développement de l’entreprise
2. Assurer l’épanouissement professionnel des équipes, gage d’efficacité et de bon climat social
3. Assurer la fluidité des processus et procédures, gage de bon fonctionnement opérationnel
4. Assurer la performance financière, gage de pérennité de l’entreprise

Pour que ces priorités ne restent pas conceptuelles, mais soient reflétées dans la vie courante de l’Entreprise, j’attends de mes collaborateurs directs une contribution active à la construction de nos stratégies de développement, de la transparence, de la loyauté. Je considère qu’ils ont un devoir d’interpellation et d’alerte. J’attends d’eux aussi un respect total des décisions prises in fine lors des arbitrages finaux.

Comment gérez-vous votre stress de Dirigeante et quelles satisfactions sont les vôtres dans votre rôle ?


Je sais reconnaître quand je suis en stress. Je connais mes limites, et je m’oblige à déconnecter le week-end, en soirée, et je prends régulièrement des vacances. Cela repose ma charge mentale. Je fais du sport le week-end. Je mange sainement. J’essaie de me distancier sous pression.
De temps en temps je « pousse un coup de gueule » , en particulier lorsque je suis en confiance avec ceux qui en sont la cause.
Mes grandes satisfactions tiennent à la passion de construire une Entreprise, de pouvoir changer le cours de choses par des décisions ingénieuses, et bien sûr d’initier des stratégies gagnantes pour l’Entreprise. A titre personnel, être confrontée à des problèmes de tous niveaux oblige à une gymnastique intellectuelle constante et à avoir en permanence la vision d’ensemble et celle des conséquences des décisions, pour nos clients, nos collaborateurs, et le futur de l’Entreprise.
Construire avec une équipe, tisser des liens de confiance, développer une saine complicité, celle qui vient lorsque l’on se connaît bien et que l’on se comprend intuitivement, constitue également des éléments forts de motivation. A cela s’ajoute le feedback des clients et des partenaires professionnels. Récemment un de nos grands clients, rencontré lors d’une assemblée générale, me disait « c’est incroyable tout ce que vous avez pu changer en trois ans ! » . La reconnaissance sincère de nos clients est une formidable satisfaction.

Quelles sont vos habitudes de travail ?


Je m’efforce de maîtriser le temps, d’être à l’heure, et d’avoir des horaires réguliers de travail le plus souvent possible. C’est indispensable pour avoir le temps de réfléchir, calmement, afin de prendre les bonnes décisions, surtout dans les moments tendus.
J’ai aussi pour habitude, chaque soir d’être à jour dans ma liste de choses à faire et de ma messagerie. Enfin j’ai pour principe de croiser les informations qui me sont communiquées. Différentes sources sur un même sujet permettent d’avoir une vision plus exacte, objective, des situations. Par exemple, nous préparons, depuis trois ans, une opération informatique majeure. Les métiers et les informaticiens sont mes deux sources d’information, ce qui me permet d’avoir une juste vision de la situation, des étapes et des solutions à envisager.

Quels sont selon vous les éléments constitutifs de l’efficacité d’une équipe de Direction ?

Une équipe de direction efficace doit être un modèle de diversité pour échapper à la pensée unique. Diversité de genres, d’origines, d’âges, d’éducations.

Combattez-vous des stéréotypes professionnels ?


Absolument ! Celui selon lequel certains postes / métiers « ne sont pas pour les femmes ou pour les hommes », mais aussi celui portant sur « la nécessité de réduire les lignes managériales pour gagner en efficacité » .

Si vous deviez donner un conseil à de jeunes managers appelés à prendre des fonctions de Direction, que leur diriez-vous ?


Je leur conseillerais de commencer à apprendre à vivre avec la solitude. La solitude des dirigeants n’est pas un mythe. Il est parfois utile d’être accompagné pour gérer cette solitude. Dans ce contexte il est important d’avoir ses points de référence à l’intérieur de soi, ne pas être dépendant du jugement d’autrui, et d’être en accord avec soi.
Ensuite je recommanderais de maîtriser les arcanes de la gouvernance d’Entreprise.

Un conseil particulier pour de futures dirigeantes ?


J’ai appris que pour une femme, en management, rien n’est jamais acquis. J’ai, au cours de ma carrière, connu quelques traversées du désert, après des réorganisations ou fusions. Sur le moment elles paraissent longues et pénibles. En fait, elles constituent des occasions de se dépasser, de renforcer son mental, et de se prouver à soi-même que c’est dans les moments difficiles que l’on grandit.
Une future jeune dirigeante doit s’attendre paradoxalement à être de plus en plus confrontée à la misogynie au fur et à mesure qu’elle accède à des postes de plus grandes responsabilités.

Qu’y-a-t-il de difficile dans le rôle de dirigeante ?

Deux choses principalement : la première est d’être dans des situations dans lesquelles on ne maîtrise pas des évènements qui affectent l’Entreprise, la seconde est lorsqu’il y a divergence stratégique aux plus hauts niveaux de la Gouvernance.

Quelles évolutions a connues le rôle de dirigeant ces dernières années, et quelles évolutions voyez-vous se profiler ?

On constate une exigence accrue pour que les dirigeants soient des « communicants » et une attente croissante pour les mettre en scène sur tous les évènements. Ce qui a changé aussi, lentement mais sûrement, sont les codes vestimentaires. Un relâchement évident, en particulier chez les hommes, qui fait se demander si dans quelque temps les Tongs ne vont pas remplacer les chaussures et les survêtements les costumes. La cravate est à présent « ringarde » , la barbe de trois jours est de rigueur. Cette fausse décontraction me paraît déplacée.

Nous sommes au début d’une révolution technologique et les dirigeants ont un rôle majeur à jouer pour qu’elle ne soit pas destructrice, mais au contraire génératrice de progrès humain. Il va continuer à prendre des risques et donc à pouvoir se tromper.

Il y a aussi une évolution à la fois nécessaire et difficile du dialogue social dans les Entreprises. Les syndicats sont en fait aujourd’hui de moins en moins représentatifs des collaborateurs, notamment des plus jeunes générations.

Pour autant le dialogue social est essentiel pour un développement harmonieux de l’Entreprise. Les syndicats ont une mutation à organiser, sortir de dogmes archaïques, prendre la mesure de l’évolution des mentalités et attentes d’aujourd’hui. La lutte des classes a fait s’opposer « patrons et salariés » .

Aujourd’hui, l’enjeu est d’instaurer une coopération gagnant-gagnant, et de substituer la complémentarité à l’opposition.

« Faire ensemble » le développement de l’entreprise, et faire converger les intérêts au lieu de considérer qu’ils soient nécessairement divergents.


Christine Jacglin a accepté de répondre, en associant librement une pensée à un mot :


Ambition ? = Progrès

Avenir ? = Mieux que le passé

Client ? = Le plus important dans l’Entreprise

Collaborateur ? = Le second plus important dans l’Entreprise

Compétence ? = Incontournable

Dirigeant ? = Responsabilité

Ego ? = M’as-tu vu !

Formation ? = Quotidien et tout au long de la vie

Hiérarchie ? = Dépassée, je préfère « management »

Objectifs ? = Indispensables, mais pas suffisants

Problèmes ? = Jamais insurmontables

Qualité ? = Service

Réussite ? = Accomplissements

Service ? = Qualité

Stratégie ? = Vision

Travail ? = Plaisir


Pourriez-vous nous faire part d’une ou deux anecdotes et du sens que vous leur accordez ?


Il y a bien longtemps, jeune cadre débutant à l’inspection bancaire, j’ai eu à participer à un audit en Banque Populaire. J’étais accompagnée d’un « senior » et nous avons interviewé un directeur qui nous a expliqué, les enjeux, les tenants et aboutissants de la situation et de son métier. Je n’ai strictement rien compris à ce qu’il nous disait.

En sortant, j’ai fait part de mon désarroi au senior audit. « Je n'ai rien compris de tout ce qu’il nous a dit » .

Bravo, m’a-t-il répondu. Rien ne sert de faire semblant de comprendre. J’ai appris ce jour-là que lorsqu’on ne comprend pas, lorsque l’on ne sait pas, on le dit. C’est une bonne façon d’apprendre l’humilité et les réalités.

La seconde anecdote remonte à l’époque où j’ai effectué une mobilité entre deux entreprises du Réseau Banque Populaire. Une dame, collaboratrice au service courrier de la société que je quittais, a demandé à me voir, avant mon départ, et est venue m’apporter un cadeau personnel de départ.

Elle m’a dit ces quelques mots qui m’ont beaucoup touchée « Vous m’avez toujours dit bonjour avec un gentil sourire lorsque nous nous sommes croisées, dans l’ascenseur, alors que tant d’autres m’ignorent.»


Le sens que je retire de ces deux anecdotes est que l’on ne peut pas tout savoir et que l’on grandit plus vite en étant humble qu’en étant présomptueux ; cette humilité sert aussi à des rapports humains agréables et réconfortants.

Propos recueillis par Gerard-Dominique Carton GCCG