Groupe Gérard Carton
La passion des solutions

Interview de Madame Claudie BARAN

Le Groupe Gérard Carton vous propose tous types de lectures, longues ou brèves, souvent teintées d'humour mais toujours sérieuses...

CB BANNER

Avez-vous quelques anecdotes à partager qui seraient révélatrices de votre philosophie managériale ou de moments clés de votre vie professionnelle ?

Lors du premier contact en Amazonie (1996) après des mois dans l’enfer vert de la selva (plutôt hostile à l’homme occidental, ne parlons pas de la femme – tout est dit dans l’ouvrage), les sertanistas et moi-même sommes entrés en contact avec les Korubo. L’idée était de les contacter afin d’acter leur existence pour pouvoir fermer la terre indigène à toute intrusion étrangère (coupeurs de bois, narcotrafiquants, chasseurs de peaux et autres éleveurs de bétail). Nous ne connaissions rien des Korubo, ni même leur langue. Au moment du 1er contact, après des mois à tenter de me dissuader de participer à cette expédition (« une femme dans la forêt !!!! Mais qu’elle retourne à ses fourneaux » ), l’équipe m’a projetée devant trois Indiens nus en hurlant «Nous sommes avec une femme !» (un signe un peu désespéré, mais visiblement universel de PAIX !). Les 10 jours passés avec les Korubo ont été une expérience de vie très constructive. Où l’on apprend que communiquer ne passe pas obligatoirement par les mots, mais par des intentions. Beaucoup de partage, de rire (eh oui !), de curiosité. J’ai appris que l’intention (gestes, tessiture de voix, inflexions, postures…) primait sur les mots.

En tant que grand reporter de guerre, j’ai pu constater que les plus belles fleurs poussaient souvent sur les ruines de l’humanité. En zone de conflit, la vie continue avec ses rites, son quotidien, ses habitudes : emmener ses gosses à l’école, trouver de quoi manger, de quoi gagner son pain et… rire entre deux tirs de mortier ou pluie de missiles (souvent les orgues de Staline). Vivre dans l’urgence, c’est aussi vivre juste, pleinement, sans se soucier «du tout à l’heure» et/ou «du demain» . Puisque d’avenir, il n’y en a pas. Ou alors : peut-être que demain nous serons vivants. Chouette ! S’inscrire dans le présent, c’est être au plus proche de soi-même. Aucune possibilité de se mentir. Dans les deux cas, s’adapter à son environnement c’est développer des trésors de créativité. Et Dieu sait si l’homme peut être créatif (bien que Dieu n’ait pas grand-chose à voir là-dedans !) Aujourd’hui, j’applique à la lettre ces leçons de vie dans mes formations de prise de parole, de cohésion de groupe et d’atelier créatif ! Entre autres. Mais surtout à moi-même.

Quels grands principes guident vos décisions dans votre vie ?

L’instinct, l’envie et la passion. Donc, à contrario de tout ce qui est préconisé. J’avance nez au vent, car j’aime être ivre de liberté. Partant du principe que la vie passe en un éclair, que «l’éclair» soit un délice en bouche ! Je suis une coureuse des vents invétérée et une jouisseuse incorrigible. Mon adage : «de tout et beaucoup» . Pourquoi s’en priver ! Paradoxalement, je fais tout avec une rigueur paramilitaire et une exigence folle.

Quelles qualités / compétences sont selon vous essentielles pour diriger ?

Ne pas vouloir diriger déjà. J’ai une sainte horreur que l’on me dirige, pourquoi diriger les autres ? Avancer oui, ensemble oui, botte à botte ou coude à coude oui. On ne dirige pas, on mutualise les compétences. On contribue à la création d’une dynamique relationnelle enthousiasmante.

Quelles sont vos priorités en tant que dirigeante ?

Aucune dans l’absolu. Je ne dirige pas : j’agrège, je partage, j’écoute, mieux j’entends. En revanche, je peux prendre la tête de la locomotive quand le chauffeur est fatigué. Alimenter en combustible peut être salutaire quand les autres sont à bout de souffle. Mieux encore : l’idée d’être une locomotive «de pousse » m’enchante. Elle est placée en queue de train afin de donner un complément de puissance loin d’être négligeable. Pour aller au bout de ma transparence et de mon aptitude à dire ce que je pense et à faire ce que je dis (même quand ça pique -un peu- les yeux) : je dirige la flèche de mon manche (je paraphrase un rappeur que j’affectionne particulièrement). Je suis très autoritaire avec moi-même, d’une intransigeance sans limites : source de conflits entre moi et moi-même. Qu’est-ce que je m’engueule !

Quelles qualités attendez-vous de vos collaborateurs directs ? De vos pairs ?

L’hyper sincérité. La franchise la plus brutale. Aucune digression, du frontal. Ça va vite, on se comprend immédiatement, on gère, on solde… et on peut passer à autre chose. Rien ne me blesse, toutes les remarques sont constructives. Une relation animale en somme.

Quels défauts vous inquiètent / interpellent ?

Les défauts ne m’inquiètent pas. J’aime les défauts, j’aime les fautes, j’aime les péchés, j’aime l’autre avec ses aspérités, ses différences, ses handicaps. En revanche, je vomis les injonctions (au bonheur, au bien-être…), la bien-pensance, le politiquement correct, le conformisme et les individus qui vous parlent comme si vous sortiez de votre première chimio.

Quelles habitudes de travail sont les vôtres ?

Je n’ai pas d’habitudes de travail, je travaille tout le temps. C’est ma came ! Je hais les habitudes : c’est une petite mort.

Quels sont selon vous les critères révélant une bonne équipe de Direction ?

D’être une équipe, une vraie. L’entente, l’écoute. Le respect. Le respect ne se traduit pas par le vouvoiement, que je ne pratique jamais dans ma vie pro comme je demande toujours à être tutoyée et appelée par mon prénom. Le respect s’impose. Une bonne équipe de Direction est un écosystème à l’équilibre parfait : le climax (le terme scientifique) comme dans nos forêts en zone tempérée.

Quels stéréotypes sur le management combattez-vous et comment ?

Oh là là ! Ce n’est pas mon combat et je ne «manage» pas, je «ménage» .

Qu’est-ce qui a le plus évolué, selon vous, dans le management ces dix dernières années ?

La bêtise. Et elle est drôlement contagieuse. Ce qui s’est dégradé : «Une classe dirigeante connaît trois états successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l‘âge des vanités : sortie du premier, elle dégénère dans le deuxième et s’abîme dans le troisième» , écrit Châteaubriant. D’où l’urgence de changer de paradigme !

Qu’est-ce qui pour vous caractérise une situation «difficile» ?

Un nœud que tout bon marin sait dénouer avec patience, logique et bon sens (et une p’tite dose d’humilité aussi).

Y a-t-il des « modes » en management qui vous agacent ?

Le langage a évolué. On ne parle plus que par acronymes longs comme le bras et anglicismes ridicules ; «Les précieuses ridicules» à la Molière ! Design thinking, ice breaking, time-to-market, brainstorming, team-building.
À l’aide ! Parlons correctement l’anglais face à nos interlocuteurs anglo-saxons et parlons un joli français dans les murs de nos sociétés. C’est simple, c’est basique comme le dit très bien ORELSAN. Sans oublier l’aptitude des «managers» à se lancer dans d’interminables logorrhées totalement vides de sens. Mais de qui se moque-t-on ? Et si on arrêtait simplement de prendre les gens pour des imbéciles ?
Impossible de communiquer si on ne parle pas un langage commun. Plus aucun espace de dialogue n’est possible. Plus de compréhension, plus d’échange. Dans toute cette arrogance (cette vanité), la palme revient à l’invention de professions telles que «Happiness manager» , pire «Chief happiness officer» (la soldatesque du bonheur), sans oublier le «Business angel» . Il faut quand même oser !
D’où l’ouvrage d’utilité publique «Bullshit jobs» de l’anthropologue américain David Graeber qui remet sérieusement les pendules à l’heure. Enfin, il y a un effondrement de la culture générale. Désormais dans les boîtes, on parle novlangue managériale, moins de mots, moins de verbes. Plus de souffle épique. Et les mots soignent les maux.
Aujourd’hui, avec toutes ces dérives, on se retrouve avec les prolos d’un côté et les «managers du vide» de l’autre. L’écart se creuse, les fractures sociales aussi, plus rien n’a de sens pour personne. La sensiblerie remplace la sensibilité…
Revenons aux fondamentaux et à la simplicité, avec ses vérités pas toujours agréables, mais qui sont la vraie vie ... Non ?

Quels mots / pensées associez-vous aux mots suivants :

Courage : J’aime l’haleine chaude de la sueur.
Expérience : Faire l'expérience de quelque chose. Éprouver, ressentir. (Merci le dico)
Avenir : versus instant présent
Nature : L’homme dans la Nature, la nature de l’Homme
Compétition : Obsolète
Créativité : Michel Serres : «Mieux vaut être gaucher et boiter que droitier et marcher parfaitement. Le premier va devoir trouver des solutions et développer sa créativité. C’est le génie qui se cache dans chacun de nous !»
Coopération : l’Albedo
Femme : J’ai pris la mer… J’ai pris la mère… J’ai pris l’amer…
Parole : Avec une ivresse profonde, les mots m’ont accueilli.
Travail : Plaisir jusqu’à l’OD
Ego : Tout général romain, lors de son triomphe, avait sur son char un esclave lui murmurant à l’oreille : «Souviens-toi que tu vas mourir»...
Esprit : À esprit libre, univers libre !
Valeur : «Je me définis comme un anartiste» disait Marcel Duchamp.
Vérité : «Il le fixa dans le canon de ses yeux. Ses yeux nageaient dans leurs nuages, leur bain de blanc» (Bill Beverly : DODGERS)
Réussite : J’ai réussi à répondre aux questions de Gérard-Dominique Carton- Ce n’est pas une réussite c’est une victoire !

Propos recueillis par GDC-

Septembre 2019