Publié dans La Lettre du GCCG - Stratégies managériales
Comment devient-on Responsable de l’ unité Management Risques et Qualité S.I. du GIE Agirc-Arrco ?
Cela ne semblait pas être ma destinée, et pourtant… Au début de ma carrière, alors que je travaillais depuis 5 ans pour une société industrielle, j’ai vu passer une annonce interne offrant de conduire un projet transverse très intéressant. Je suis allée voir mon manager, un monsieur assez peu communiquant, pour lui demander d'appuyer ma candidature.
Après quelques secondes de réflexion, il m’a dit sans sourciller, « Ne perdez pas votre temps. Il y a trois raisons pour lesquelles ma réponse est non.
1- Vous êtes jeune, trop jeune.
2- Vous êtes une femme, et le pilotage de projet convient mieux aux hommes.
3- Je pense que jeune maman, vous devriez rester chez vous et vous occuper de votre enfant. C’est ce que fait ma femme à qui j’interdis d'ailleurs de travailler. »
Abasourdie, je suis allée voir le DRH et ai demandé ma mutation dans un autre service. Ce qui m’a été accordé rapidement. Deux ans plus tard, la société a procédé à un plan social, j’ai demandé à en bénéficier, pour suivre une Maîtrise en Informatique et Gestion.
Cet incident a réorienté ma carrière. J’ai pu effectivement piloter des projets intéressants. Quelques années plus tard, l'entreprise dans laquelle je travaillais a souhaité conserver la personne que j'avais recrutée pour me remplacer durant un nouveau congé maternité. Il m'a alors été proposé de créer un pôle regroupant la Sécurité des systèmes d'information, le Contrôle interne et la Qualité, choix novateur en 2 001. Prenant la tête de cette activité je suis aussi entrée dans le domaine des fonctions managériales qui m’ont conduite ici.
Quels grands principes guident vos orientations et décisions ?
Toujours avoir une vision à moyen terme prenant en compte les enjeux et les risques, analyser les impacts humains, travailler l’efficience en calibrant les ressources en énergie pour atteindre un résultat souhaité.
Ne jamais laisser de côté les petits ruisseaux qui peuvent faire de grandes rivières, et pour cela considérer aussi les sujets à faibles enjeux, mais faciles à mettre en œuvre, qui permettent de « quick wins » .
Tout en privilégiant un pilotage par les risques et une nette orientation "résultats" je veille à l’analyse des impacts humains. Leur prise en compte permet quasiment toujours de trouver des leviers supplémentaires de progrès. Un de mes grands principes depuis plusieurs années est de voir l’humain en tant que force et richesse, et non comme une contrainte et un coût.
Qu’attendez-vous de vos collaborateurs directs ?
Principalement cinq éléments :
1- La transparence, faite de parler-vrai et d’ouverture. On ne se cache rien et surtout pas les difficultés ou problèmes.
2- Être force de proposition. Cela peut paraître banal, mais j’attends de mes collaborateurs directs de réfléchir à des solutions plutôt que de faire état de « problèmes », et d’anticiper. C’est un état d’esprit et une façon de travailler.
3- Apporter du feedback. Y compris sur mon management. Il permet de progresser, d’aller dans la bonne direction, de s’améliorer en permanence, mais aussi d’avoir l’opportunité au besoin d’expliquer et mettre en perspective les arbitrages, décisions, etc.
4- Agir avec bon sens. Le bon sens est un diamant. C’est une forme de logique pragmatique, empreinte de simplicité et de responsabilité. Il est infiniment désagréable de s’entendre dire « c’est la procédure » lorsque le dispositif est absurde et contraire au bon sens…
5- Mesurer les risques. Dans leur globalité et leurs spécificités. Un comportement responsable est de toujours mesurer les risques et les conséquences des décisions.
Corollairement, j’attends de mes collaborateurs qu’ils s’alignent dans les objectifs de l'entreprise pour que les résultats soient cohérents. Cela passe par « réfléchir ensemble » , appliquer consensuellement les stratégies décidées, développer un cadre constructif et méthodologique. Pour cela il faut que la parole soit libérée et que l’on partage systématiquement réussites, difficultés, idées et échecs.
Comment gérez-vous votre stress de Dirigeante et quelles satisfactions sont les vôtres dans votre rôle ?
Je suis très adaptable. Concernant le stress, lorsque je le sens monter, je prends d'abord du recul. Je pratique régulièrement des exercices de respiration et le chant (en privé), cela m'aide à me poser. Par ailleurs, passer à l'action, ensuite, va faire baisser mon taux de stress, alors qu’en mode « observateur » il tend à augmenter. Le stress naissant de situations tendues ou difficiles, je développe les échanges avec mes collaborateurs, mais aussi avec des personnes ayant connu des situations analogues. Cela me permet d’avoir une vision plus large, plus ouverte, des situations et des pistes de solutions.
Je prends un réel plaisir dans mon travail et retire mes principales satisfactions lorsque je parviens à faire bouger les lignes, évoluer les pratiques et activités pour les améliorer, grandir les personnes avec lesquelles je travaille.
Quelles sont vos habitudes de travail ?
Je pratique en permanence l’écoute à 360°. Clients, gouvernance, collaborateurs, pairs ont tous des attentes, et il est essentiel de les connaître et d’en comprendre les évolutions contextuelles. Je suis en veille permanente sur les évolutions pour pouvoir effectivement anticiper. Le changement est permanent. Il est une partie intégrante des fonctions managériales.
Mon fil rouge est le développement efficace de l’amélioration continue. Baliser le chemin, avoir les bons indicateurs (en nombre raisonnable), faire souvent des bilans / retours d’expérience, et ajuster la trajectoire et les priorités en s’inscrivant dans le temps. Les solutions à court terme ne devraient jamais obérer la qualité des résultats à moyen ou long terme.
Je veille à ménager des temps d'échange réguliers avec mes collaborateurs et les acteurs concernés pour que nos solutions soient des solutions d’équipe, et donc auxquelles il y a adhésion des acteurs.
Quels sont selon vous les éléments constitutifs de l’efficacité d’une équipe de Direction ?
Trois principes clés : Cohésion, échanges, respect mutuel.
La fluidité dans le partage d’informations vient de la capacité à réellement les partager, s’approprier et porter collectivement aussi bien les échecs que les succès.
Une large adhésion des collaborateurs aux projets, changements, solutions, est pour moi un critère fort de l’efficacité de l’équipe de direction.
Combattez-vous des stéréotypes professionnels ?
J’en rencontre de moins en moins, mais il y a toujours le risque d’émergence des vieux stéréotypes tels que « chef = solution » , « une seule vérité » , alors qu’elle dépend des perspectives, et que l’on peut être deux à avoir raison en ayant des positions différentes. Ce n’est pas toujours compris.
Les formations managériales visant à réduire / éliminer les stéréotypes, les réponses stéréotypées, sont particulièrement utiles. Nous avons aussi un réseau apprenant de managers, très efficace en ce sens.
Qu’avez-vous appris dans votre carrière et qui vous sert encore aujourd’hui ?
J’ai appris qu’il faut apprendre chaque jour, qu’il y a toujours quelque chose à apprendre, que l'on apprend de tous et de tout. Qu’il y a plus d’intelligence dans deux têtes à moitié vides que dans une seule bien pleine. J’ai appris la valeur du travail collaboratif, de la coopération et les bienfaits de la bienveillance. Que la route la plus efficace n'est pas la ligne droite mais celle permet d’économiser les énergies, les efforts, pour en conserver suffisamment pour les grands sujets (à l'image de la route à lacets en montagne). J’ai appris à gérer intelligemment les ressources afin de ne pas les épuiser. Et enfin que les peurs sont souvent les plus grands freins et qu'elles sont très souvent dissimulées.
Si vous deviez donner un conseil à de jeunes managers appelés à prendre des fonctions de Direction, que leur diriez-vous ?
Là aussi trois éléments. Tout d'abord OSER. Ensuite, s’inscrire dans un cycle d’amélioration continue, avec management précis des étapes, et bien intégrer le temps dans les jalons, ne pas se contenter de livrables, fixer aussi des échéances et s'y tenir. Enfin, non accessoirement, ne jamais zapper les étapes de bilan et partage pour s’ajuster intelligemment. En synthèse, écouter, analyser et décider sur des cycles courts.
S’établir une feuille de route, et déléguer « vraiment », en donnant de l’autonomie à ses collaborateurs, s’inscrire dans le collectif et les accompagner. Pour cela il faut construire la confiance réciproque et la considérer comme essentielle.
Qu’y-a-t-il de difficile dans le rôle de dirigeante ?
Les difficultés se rencontrent dans la diversité des situations, l’instabilité des contextes, la répétition de changements importants, leur accumulation, et la situation dans laquelle il faut concevoir de sacrifier une partie pour sauver l’ensemble. C’est la difficulté des « choix douloureux » .
Il y a aussi l’influence de facteurs exogènes à l’entreprise, les « tourbillons externes », non maîtrisables.
Une autre difficulté est le phénomène d’usure devant le tonneau des Danaïdes des problèmes dits managériaux.
Quelles évolutions voyez-vous dans le Management ces dernières années ?
Le management évolue assez lentement et de façon peu évidente ... Il y a aujourd’hui manifestement une meilleure reconnaissance des femmes qu’avant, mais elles ont aujourd'hui encore, souvent à faire plus et mieux. C'est un peu comme si sur un 100 m haies pour les femmes, les haies étaient plus nombreuses et plus hautes que pour les hommes. Au moins peuvent-elles aujourd'hui s'aligner sur la ligne de départ.
On voit appliquer de plus en plus de pratiques apportant de la souplesse, de la réactivité, du collectif et de l'amélioration continue en portant au niveau managérial des principes de conduite de projet (méthodes agiles, lean management, par exemple). La digitalisation et l'esprit Start-Up sont aussi vecteurs d'évolution des pratiques managériales.
Quels grands challenges voyez-vous se profiler dans l’avenir ?
La capacité pour les entreprises à absorber la transformation de la Société. Elle touche les valeurs fondamentales, la culture, les outils, le mode de vie. Tout est en transformation, rien n’est durablement stable, le nouveau monde est fait d’incertitudes. Seul l’incertain est certain.
Par le passé on a tenté de construire des systèmes et des organisations durablement stables. Aujourd’hui déjà et demain sûrement, le monde est et sera fait d’instabilité. Les équilibres sont précaires, et l’on voit des évolutions importantes de valeurs, avec un risque de rupture et bien sûr la difficulté de créer un ensemble homogène. Les modèles devront apporter des retours sur investissement courts, de la souplesse, être adaptables, et il ne faudra pas hésiter à les remettre en cause et à en changer.
L’incertitude crée des peurs chez beaucoup, et les peurs sont de puissants freins. Elles sont souvent irrationnelles. Un grand challenge pour les pilotes sera de savoir gérer les peurs.
Nadine Delouche a accepté de répondre, en associant librement une pensée à un mot :
Propos recueillis par Gérard-Dominique Carton- GCCG
Août 2018