Groupe Gérard Carton
La passion des solutions

Interview de Madame Nathalie PIVERT CHALON

Le Groupe Gérard Carton vous propose tous types de lectures, longues ou brèves, souvent teintées d'humour mais toujours sérieuses...

Vous menez de front une double activité, Professeure et Auteur. Comment conciliez-vous les deux et quelles satisfactions sont les vôtres dans ces deux activités ?

J’aime enseigner, j’aime écrire, et grâce notamment à ces deux passions, j’apprends tout le temps.

Après trente ans d’enseignement, j’ai fait un long chemin, celui de la recherche de la vérité et du sens, qui commence avec la capacité de douter, de poser et se poser des questions fondamentales. Il reste un long chemin à parcourir et chaque jour est une opportunité de se dépasser, de construire avec les élèves, les collègues, l’entourage professionnel et personnel…

Partager des connaissances, partager des valeurs, au premier rang desquelles je place le travail, l’amour du travail, la réalisation de soi, l’accompagnement d’autrui, et par-dessus tout, la capacité à rester curieux, avide de connaissances, d’expériences. Prendre conscience que l’on sait peu de tout ce qu’il y a de passionnant à savoir même en sachant beaucoup est une révélation. Plus on en prend conscience tôt, mieux on se porte.

L’humilité devant le savoir est hélas insuffisamment encouragée. Celle de la difficulté de certains apprentissages l’est en revanche un peu trop.

Je suis convaincue qu’avec un travail sérieux et une bonne méthode d’apprentissage tout le monde peut progresser et parvenir à un bon niveau de maîtrise des connaissances voulues…

Quelles réflexions sont les vôtres concernant le métier d’Enseignante ?

C’est un métier formidable. J’ai aujourd’hui, après trente ans d’enseignement, plus d’idées, d’énergie et d’enthousiasme que lorsque j’ai débuté. L’innovation pédagogique est constante, le progrès dans la connaissance des modalités cognitives d’apprentissage et les outils pédagogiques est continuel.

L’expérience (ou l’âge pour être honnête) contribue à vous donner une certaine souplesse, aisance face aux élèves qui vous libère totalement d’un effet de stress qui est ou serait contre-productif.

Les élèves sont une source magnifique d’inspiration quotidienne. J’ai gardé contact avec d’anciens élèves et de les savoir évoluer et mener leur vie avec force et courage, est splendide.

Notre métier est régulièrement critiqué, parfois objet de sarcasmes et de stéréotypes (l’absentéisme, les vacances, la sécurité de l’emploi, corporatisme…). Il a beaucoup évolué depuis cinquante ans et cela parce que la société s’est transformée. On parle beaucoup des incivilités, elles existent ; les conflits, la délinquance les agressions en milieu scolaire sont fréquemment cités, et en revanche on communique peu sur les réussites, les progrès… Ils existent aussi. La vision de l’école ou du lycée lieu de conflits et dangers permanents qui se dégage des médias est aussi pénalisante que globalement fausse.

On parle peu aussi d’une profession pour laquelle j’ai la plus haute estime et une vraie reconnaissance, les AVS (acronyme désignant les auxiliaires de vie scolaire). Cette profession minorée, mais nécessitant tout de même un certificat de qualification professionnelle, est une fonction qui devrait être valorisée : leur mission d’accompagnement individualisé sauve des élèves s’écartant du modèle (troubles DYS..).

Notre métier se résume à « donner envie d’apprendre » bien plus qu’à transmettre des connaissances, et les enseignants doivent garder cette envie d’apprendre eux-mêmes en permanence. J’apprends tous les jours, je m’intéresse aux techniques et approches pédagogiques d’ailleurs, par exemple au Canada, qui est très en avance…

Les difficultés du métier tiennent à la solitude relative de l’enseignant, notamment face aux stress de situations complexes. Nombreux sont celles et ceux qui se sentent démunis faute de soutien de la part de la communauté éducative. Il existe des lois, des textes, un cadre, mais la réalité est toute autre. Le phénomène « anti vague scélérate » sur un établissement est une préconisation qui a des effets dévastateurs sur les victimes de ces faits de violence…

Enfin, il apparaît que cette profession est « mal aimée » , de l’extérieur, parfois de l’intérieur. C’est affligeant, car quelle plus noble cause que de participer, contribuer à l’éducation des jeunes, et de leur donner des atouts pour leur vie d’adulte ?

Qu’est-ce qui vous interpelle chez vos élèves ?

Leurs attentes /exigences sont différentes des nôtres au même âge, mais pas inintéressantes. Elles se traduisent davantage à travers l’impatience. Ils font partie de cette génération qui ne souhaite plus attendre que les choses s’installent. Elles doivent faire sens dès que possible. Les activités doivent illustrer l’objectif du cours et la finalité leur apporter quelque chose qui sera réinvesti.

Tout travail scolaire mérite qu’il soit utile ! Et utile de suite… Lorsqu’ils ne voient pas l’utilité (par exemple la grammaire, la syntaxe, la prosodie), ils ont beaucoup de mal à se concentrer.

Quelles sont les grandes inquiétudes de vos élèves ?

Au-delà de l’obtention d’un examen bac BTS ou licence, c’est l’après qui prime. Dans un contexte socio professionnel instable, la poursuite d’études devient une évidence et l’urgence de s’insérer est différée.

Ils nourrissent quelque inquiétude face à l’actualité internationale, le chômage, l’insécurité, l’instabilité côté familial, etc.

Quelles qualités attendez-vous de vos élèves ? Quels défauts vous inquiètent / interpellent ?

L’honnêteté doit primer, l’envie de faire, de progresser. Assister de façon passive aux cours, l’esprit « ailleurs » , considérer tout travail comme un pensum… Au-delà, pour ceux qui ont des facilités, le manque d’envie, la paresse intellectuelle.

Bien sûr lorsque cela se rencontre, les incivilités, l’impolitesse, le harcèlement sont des conduites inquiétantes pour l’avenir des élèves.

Quelles qualités / compétences sont selon vous essentielles pour les enseignants ?

L’honnêteté intellectuelle, l’implication dans la transmission du désir d’apprendre, la patience, l’humour, la générosité, le courage, la perspicacité, et l’ouverture. Sur ce dernier point, on enseigne un sujet, il n’est pas tout… enfin, je cite souvent à des professeurs stagiaires que le métier d’enseignant est à 10 % de l’enseignement pur et 90 du théâtre…Il faut incarner, personnifier la matière que l’on enseigne…

Là encore l’humour, les textes de certaines chansons, les jeux, sont d’une aide précieuse.

Quelles sont vos priorités en tant qu’enseignante ?

Ouvrir l’esprit des élèves, et toujours continuer à ouvrir le mien ; développer au maximum leur mobilité (et envie de mobilité) à l’international, au Monde. La connaissance de cultures différentes est un magnifique facteur d’enrichissement personnel et une source inépuisable d’inspiration.

Quels grands principes guident vos décisions dans votre vie professionnelle ?

Que ce soit à l’égard de mes élèves ou mes choix professionnels, trouver de nouvelles stratégies non pour séduire un public qui serait vite blasé, mais mettre en œuvre de véritables pratiques qui sont en adéquation avec les besoins.

L’anglais une langue très riche, la culture anglo-saxonne est immense de diversité, de subtilités et de concepts cachés derrière les mots.


Quels sont les éléments de stress de votre métier d’enseignante et comment les gérez-vous ?

Le stress comme frein à l’apprentissage est un frein à l’épanouissement d’un enseignant dans l’exercice de son métier.

Le stress est généré parfois par le nombre, mais davantage par l’individu qui n’adhérerait pas à la dynamique du cours, de vos propos et qui ne serait pas à l’écoute.

Le secret de la diminution ou absence de stress est dans la préparation et le renoncement à l’improvisation.

Le contenu maitrisé, l’organisation anticipée laissant une large place à l’échange et permet une bonne maîtrise, car gestion du temps ; le cours est alors « animé » et n’est plus un exercice ex cathedra.

Qu’est-ce qui selon vous caractérise une situation « difficile » ?

Pour un enseignant, une des situations les plus difficiles est la détresse de l’enfant, pouvant venir de paramètres familiaux que nous ne maitrisons pas faute d’avoir été informés et les souffrances psychologiques qui en découlent.

Des élèves qui semblent totalement désintéressés des cours, alors qu’ils sont sous l’emprise de problèmes énormes.

Il y a aussi une extrême hétérogénéité culturelle dans la classe, avec des clivages sociaux pénibles pour tous.

Qu’est-ce qui a le plus évolué, selon vous, dans le rôle d’enseignant ces dix dernières années ?

La posture de l’enseignant et celle de l’apprenant ; l’enseignement descendant est dépassé au profit d’un enseignement qui vise à stimuler, provoquer durablement l’envie et la volonté d’apprendre, l’empathie, la bienveillance…

Les approches pédagogiques qui inversent la nature des activités d’apprentissage par exemple les Flipped classes (classes inversées encore une fois inspirées de méthodes venant de l’étranger). On apprend le cours à la maison afin de pouvoir aborder les activités classe de manière sereine et dynamique. Cela permet plus de contextualisation et de pratiquer des exercices d’explicitation par exemple une technique d’entretien visant la mise en mot de l’action qu’elle soit matérielle ou mentale.

C’est une démarche « actionnelle » dont le but de donner du sens, ce besoin essentiel aujourd’hui qui ramène à la notion d’utilité du savoir.

Si vous aviez des conseils à donner à un jeune enseignant, lesquels lui prodigueriez-vous ?

Probablement approfondir ses connaissances en neurosciences – sciences cognitives – et ses compétences psychosociales.

Cela donne des clés d’accès aux élèves et en même temps permet de structurer les approches pédagogiques pour en augmenter l’efficacité.

Si vous aviez des conseils à donner à un apprenti auteur, lesquels lui prodigueriez-vous ?

La persévérance, l’envie d’y croire, mais également ne pas se laisser aveugler par la satisfaction d’avoir été publié(e). Le plaisir d’écrire, d’emmener ses lecteurs en voyage alors qu’au moment de l’écriture, vous étiez seuls, mais le plus difficile est à venir…

Une tradition dans ces interviews, quels mots / pensées associez-vous aux mots suivants :

TABLEAU NPC

Avez-vous une ou deux anecdotes à partager qui seraient révélatrices de votre philosophie ou de moments clés de votre vie professionnelle ?

Un ouvrage comme chagrin d’école de Daniel Pennac devrait être glissé dans le cartable de chaque enseignant et je retiendrais volontiers cette phrase pour conclure :

"Le jeu est la respiration de l'effort, l'autre battement du cœur, il ne nuit pas au sérieux de l'apprentissage, il en est le contrepoint."

Comme un exutoire, son livre parle de ses souffrances « d’élève incompris » , mais son humour parvient à panser les douleurs liées à ces années d’école où il ne faisait pas bon d’être différent.

Apprendre doit être un plaisir, on n’apprend jamais dans la souffrance et le mépris. Enfant, son seul rêve aurait été qu’on le retire de l’école. Heureusement pour lui – et pour nous aujourd’hui – ses parents ont tout fait pour qu’il continue !

Pour finir, je terminerai sur cette anecdote personnelle :

Un jour, un de mes jeunes collègues Matthieu R. évoquait non sans malice, ses années où l’école l’avait catalogué de cancre invétéré …et me dit, alors que nous nous apprêtions à co-animer une séance destinée à l’orientation, avec un large sourire et des yeux rieurs "Vois-tu Nathalie ! (En parlant de ses renvois successifs) on m’aimait tellement que toutes les écoles ont voulu un jour me connaitre !!!"

Si ce professeur a l’occasion de me lire, j’aimerais lui dire : "Vois-tu Matthieu, c’est bien que notre lycée ait également voulu te connaitre et te garder !"

Matthieu est profondément humain, bienveillant, jamais dans le mépris et toujours l’envie de voir ce qui est bien dans chacun de ses élèves.

C’est ainsi que je vois « mon école et mon métier » .

Propos recueillis par GDC

Février 2020