Publié dans La Lettre du GCCG - Connaissances utiles - Stratégies managériales - Leadership
Si le dictionnaire des idées reçues de Flaubert est toujours d’actualité, son approche « catalogue des opinions chics » pourrait avoir pour suite aujourd’hui les « expressions managériales buzz » .
Certaines sont fascinantes par le rapport étroit existant entre leur vide sidéral de sens et la fréquence de leur utilisation.
En voici quelques-unes…
Sortir de sa zone de confort : La découverte de la zone de confort est assez récente. Quelques années à peine, mais quelle belle carrière pour ce sophisme. C’est si politiquement correct que l’on a envie d’applaudir. Enjoindre à une personne de sortir de sa zdc, se substitue magiquement à lui faire savoir qu’on la juge, routinière, craintive, lâche, peureuse, timorée, et quelque part paresseuse . On lui demande concomitamment de prendre des risques, d’oser apprendre, de se comporter différemment, bref, d’agir. Il y a même des graphiques et des matrices montrant qu’au-delà de la zone de confort, en passant par l’apprentissage et la prise de risque on arrive à l’état suprême de la réalisation de soi. Sortir de ses habitudes, c’est en créer de nouvelles ; la zone de confort est donc par nature extensible à l’infini… si l’on ne meurt pas d’en sortir.
Donner du sens : Injonction répandue, indiquant que l’on transmet des ordres, donne des objectifs, se plie à des process ou des procédures souvent aussi absurdes que bureaucratiques.
Il faudrait donner du sens là où il n’y en a pas, et par là même donner une direction qui permette à ceux qui la suivent de retrouver le Graal de la motivation. Cela consiste à décider ou demander de trouver l’introuvable, ce qui prend beaucoup de temps, d’énergie et de créativité, au lieu de cesser d’imposer des tâches et missions abracadabrantes lorsqu’elles ne sont tout simplement pas inutiles.
Résilience : Un très beau concept parfaitement dénaturé et banalisé, mis à toutes les sauces. Être résilient devient devoir accepter tous les malheurs, voire les perversités, et rester aussi positif qu’optimiste. En bref, on vous demande d’être fort et courageux lorsque le bon sens vous dicterait d’envoyer paître ou de changer d’horizon.
Ne rien lâcher : Largement popularisée par les gilets jaunes , l’expression est reprise à tout venant. Gage d’opiniâtreté, de détermination, de volonté, « on ne lâche rien » fait appel au sens historique « d’aller au bout » … Bref être prêt à tout … ce qui n’est jamais éthique.
Lâcher prise : Expression qui miraculeusement et paradoxalement cohabite avec la précédente, offrant une alternative stratégique, toutefois toujours non éthique. Car le lâcher-prise sous-entend quasi systématiquement l’abandon de valeurs et de principes. La nouvelle façon de dire « on s’en fiche » remplace le vieux « jeter son bonnet par-dessus les moulins » , quand bien même les moulins sont fondamentalement écologiques et donc dans l’air du temps.
Déconnexion : Très à la mode, oscille entre le droit et le devoir. Accompagne l’expression précédente, et se limite, dans son acception courante, à « ne pas » lire ni répondre à ses mails, consulter son smartphone, bref, être joignable. Au nom du mythique équilibre entre vies personnelle et professionnelle et des frontières qu’il convient d’instaurer entre deux, s’isoler physiquement et gérer le sentiment de culpabilité (malsain) que cela occasionne à beaucoup.
Empathie : Originellement capacité à ressentir ce qu’autrui ressent, notamment lorsqu’autrui est en souffrance, faire preuve d’empathie s’est largement substitué à l’injonction de gentillesse, considérée comme une faiblesse et définitivement désuète. Étant démontré que l’absence totale d’empathie est caractéristique des psychopathes et sociopathes, il ne viendrait à l’idée de personne de challenger sérieusement l’injonction et le devoir d’être empathique. Heureusement, l’hypocrisie peut venir à la rescousse de celles et ceux qui « manqueraient » d’empathie en ne faisant pas état d’une compassion totale aux moindres petites souffrances et déconvenues de tout un chacun.
Écoute : S’est graduellement et définitivement substituée à la règle d’équilibre du dialogue consistant à s’attacher à s’entendre. Plus vous êtes en position de devoir dire des choses, plus il vous est maintenant demandé d’écouter. Le paroxysme fut atteint lorsque l’on a déployé l’idée selon laquelle le Président de la République, le Gouvernement, les « décideurs » doivent et se doivent d’être à l’écoute. La dérive constante de l’écoute fait qu’à présent les parents et les enseignants doivent « écouter » les enfants, les ados ; et il semble qu’il faille d’autant plus écouter que les interlocuteurs n’ont rien à dire ou manquent cruellement de connaissances. Les « influenceurs » aussi stupides qu’omniprésents sur les réseaux sociaux pourraient être le sous-produit des dernières générations ayant immolé leur bon sens sur l’autel de l’écoute.
Cash : Être cash c’est dire les choses comme on les ressent, comme on a envie de les dire, en prenant le risque (sinon le plaisir) de déplaire, choquer, brusquer, offenser… Il est possible que la décision d’être cash soit la conséquence de la multiplication exponentielle des offensés pour tout et par tout de beaucoup. Il est possible aussi que se réclament d’être cash des personnes qui ainsi tentent de conserver leur droit de s’exprimer sans trop de détours et circonvolutions. Toujours prévenir son interlocuteur qu’on est « cash » , voire s’en excuser à l’avance est très tendance, surtout si l’on ne dit pas tout…
Courage managérial : On ne parle principalement que de son absence. C’est l’arlésienne des comportements managériaux caractéristiques des personnes attribuant la paternité des décisions difficiles aux gens du dessus. Dans un monde où il faut se garder (voir ci-dessous) d’offenser toutes les sensibilités politiques, religieuses, sociales, culturelles et sexuelles, le courage ultime pourrait devenir de se taire le plus souvent et d’afficher une indifférence attentive, au risque d’être trouvé dédaigneux.
Offense : On ne pardonne plus à ceux qui nous ont offensés et encore moins à ceux qui ont offensé les autres. L’offense est à présent inséparable de l’indignation, sauf à s’indigner de la tendance à la victimisation des offensés perpétuels.
Agilité : Concept à la mode qui deviendra une ringardise ou une religion selon qui se ralliera. Pour l’instant présente des caractéristiques de rituels sectaires. Sachant que dans la nature les animaux les plus agiles sont dans les jungles, et que tout ce qui vit vite ne vit pas longtemps, l’on pourrait s’enhardir à une certaine prudence concernant l’impérieuse envie d’appliquer ce concept qui pourrait bien être un noumène.
En vous souhaitant un printemps agréable…
Très cordialement