Publié dans La Lettre du GCCG - Changement
De nombreux débats sont nés de la loi sur le temps de travail. Les sondages les plus divers viennent alimenter les discussions parfois animées sur le sujet. 35 heures, 32 heures, 40 heures, les opinions varient…
On associe volontiers la durée du temps de travail réduite à la qualité de vie, la santé et paradoxalement la productivité, selon la logique « moins on travaille, moins on est fatigué, plus on est productif ». Dans cette logique, les personnes privées d’emploi seraient in fine les plus productives.
On associe souvent durée du temps de travail élevée avec stress, risques de burnout, addiction au travail. Dans cette logique, les personnes qui travaillent le plus seraient in fine les moins productives.
Sur le fond, que rémunère-t-on ?
La compétence, la performance, l’expertise, ou « le temps de travail » ?
Dans les faits, les discussions portent explicitement sur la durée du travail et implicitement sur la performance et les compétences.
Une tendance dans les startups est de rémunérer la performance et de ne pas se centrer sur la durée du travail. C’est bien sûr admissible d’un point de vue légal tant que le temps de travail effectif est inférieur ou égal à la durée légale du travail. Dans la réalité, ce n’est jamais le cas.
Les auto-entrepreneurs, les « ubérisés », font pratiquement tous état d’un nombre d’heures de travail de l’ordre de 70 à 80 heures par semaine. Ils rejoignent la cohorte des commerçants et des professions libérales pour laquelle les 35 heures se font plus souvent en 2,5 jours qu’en une semaine, sans parler du travail du dimanche, passé pour beaucoup, à accomplir des tâches administratives aussi obligatoires qu’improductives.
Un réel décalage s’opère dans le monde du travail, selon les statuts ; les salariés de la fonction publique ou privée sont rémunérés avant tout sur leurs heures alors que les non-salariés doivent pour s’assurer des revenus décents « ne pas compter leurs heures ».
Le statut de salarié établit une association de fait entre temps de travail et performance, mais un salarié est prioritairement astreint à effectuer le nombre d’heures relevant de son statut plus qu’à délivrer un certain niveau de performance ; en dehors des métiers ou fonctions de production concrète, la performance est dérivée de la moyenne, et parfois impossible à mesurer autrement que « subjectivement ».
C’est pourquoi la probabilité d’ubérisation d’un grand nombre de métiers et d’emploi est exponentielle, et que certains s’accordent à dire que la question n’est pas de savoir si votre métier sera ubérisé, mais plutôt de savoir « quand » il le sera.
Une Compagnie aérienne « Uber » ? Une Banque « Uber » ? Un supermarché « Uber » ?
L’ubérisation commence avec la création d’une plateforme de compétences reliée à un ensemble de besoins. Le modèle économique repose sur la capacité à faire accéder le plus grand nombre de personnes possible, ceux ayant les compétences et ceux ayant un besoin correspondant et de vendre ce service aux deux catégories. C’est infiniment simple, et les technologies actuelles et futures rendent et rendront la chose encore plus simple.
Ajoutez à cela un nombre impressionnant de personnes en sous-activité ou privées d’emploi, et l’ubérisation devient une réponse quasi sociale.
En Chine, dans beaucoup de restaurants, le modèle économique est fondamentalement différent de celui de la restauration dans le reste du monde : Le Restaurateur est propriétaire d’un espace de restauration. Il le met à disposition des clients et de cuisiniers. Les cuisiniers circulent parmi les tables et « vendent » leurs plats aux clients. Le restaurateur touche un revenu fixe (droit de circulation des cuisiniers) et un revenu variable (pourcentage sur les ventes aux clients).
Le restaurateur assure globalement la qualité des plats en sélectionnant de « bons » cuisiniers, et la qualité de l’établissement (tables, chaises, commodités).
Les cuisiniers assurent la satisfaction client en pratiquant des prix attractifs pour des plats bien préparés. S’ils ne vendent pas suffisamment ils sont éliminés par le restaurateur.
Il n’est pas impossible que ce modèle finisse par s’imposer dans certains restaurants européens.
Il est fondé sur la performance (compétence + production). Le cuisinier gagne sa vie par la valeur qu’il créée, pas par le nombre d’heures qu’il passe à choisir ses produits de base, préparer ses plats, et les vendre.
Si la clé du succès repose sur la création individuelle de valeur augmentée par la dynamique collective, l’ubérisation des métiers est inéluctable, sauf à ce que les entreprises se structurent différemment et soient en mesure de rémunérer non pas le temps de présence au travail, mais la valeur créée dans un temps donné.
Cela ne va pas sans rappeler le taylorisme, le stakhanovisme, et les tâcherons, ce qui n’augure pas d’un progrès social enthousiasmant. En revanche la rémunération par la valeur créée pourrait être mise en œuvre en libérant les motivations positives des salariés : aimer son travail et aimer travailler, se sentir et être utile et performant, ajouter de la valeur à sa mission et par là, à l’organisation.
La sécurité de l’emploi, dans le secteur privé, ne dépend pas du contrat de travail ; elle dépend avant tout de la performance économique de l’organisation. Il est reconnu que la performance sociale augmente et dynamise la performance économique.
La performance par la valeur ajoutée dans l’entreprise est le meilleur rempart contre l’ubérisation, car elle garantit aux clients le meilleur rapport qualité-prix.
Très cordialement,
Gdc