Publié dans La minute de bon sens - Connaissances utiles - Stratégies managériales
Le syndrome d’Iznogoud devient assez fréquent, dans le monde de l’entreprise ; il se manifeste de façon soudaine, comme un orage d’été.
Mais, avant de décrire les quelques prodromes et symptômes, une synthèse s’impose pour éclairer le lecteur.
Un collaborateur fiable, sérieux, impliqué, dévoué, talentueux, ayant donné en de nombreuses occasions des gages de loyauté, de sincérité, ayant en outre démontré être performant par ses accomplissements avec constance et qui a été promu au rang de personne clé d’une organisation soudainement fait état d’exigences incompatibles avec son maintien dans l’Entreprise.
Deux exemples :
Les marques constantes de reconnaissance vers les « Iznogoud » , la confiance totale qui leur est faite, l’autonomie dont ils bénéficient, deviennent les moteurs de leur frustration. Leur position d’élément clé de l’organisation les amène à penser qu’ils sont indispensables, irremplaçables et cruciaux pour son avenir. Certains finissent par concevoir que Calife à la place du Calife ils feraient mieux que lui. La destinée de l’élève n’est-elle pas de dépasser le maître ?
Prodromes du syndrome d’Iznogoud :
• La distanciation : L’autonomie en est le moteur principal. Elle devient source d’éloignement relationnel. Elle permet à « Iznogoud» de développer de nouvelles perspectives et représentations mentales de l’organisation, de son avenir, de sa relation avec le « boss » qui est d’ailleurs de moins en moins perçu comme légitime.
• La critique : Rares sont les personnes ayant une vision globale d’autrui, en positif et négatif. La vaste majorité a tendance à privilégier soit les aspects positifs soit les aspects négatifs et faire un bilan « partial » et « orienté » . La frustration devient source de critique. « Iznogoud » regarde son boss de façon différente et sévère. Cela diminue la confiance qu’il lui faisait, et bien sûr l’estime qu’il lui portait.
• L’oubli : La mémoire est sélective. Il est aisé d’oublier des faits passés en contradiction avec l’opinion du moment, et d’en arranger d’anciens pour les ajuster à celle-ci.
• Les biais cognitifs :
o Le biais de confirmation par lequel au lieu de vérifier objectivement une hypothèse on ne retient que ce qui pourrait la valider.
o Le biais d’égocentrisme par lequel une personne surestime sa contribution au résultat d’une action impliquant plusieurs personnes.
o La pondération éthique, par laquelle on s’autorise des écarts au nom de tous les efforts de bonne conduite que l’on a fait.
o L’autocomplaisance, par laquelle on s’attribue plus de part des succès et moins que sa part des échecs.
Évidence du syndrome Iznogoud :
• Un changement progressif de la relation . L’humour se raréfie, les marques d’estime s’estompent, le plaisir d’être ensemble s’amenuise, les faux-fuyants et prétextes pour moins échanger, se concerter, émergent.
• Un changement de comportements : Une certaine froideur apparaît, la relation est moins franche, la spontanéité n’est plus de mise, les petits mensonges font leur entrée.
• Un changement d’attitude : Alors que le positivisme était la norme, le négativisme s’invite de plus en plus régulièrement. L’enthousiasme laisse la place à l’indifférence et au scepticisme, l’optimisme est obscurci, et des signes d’abattement font leur apparition. Les problèmes prennent le pas sur les solutions. C’est la phase de désenchantement.
L’ensemble de ce qui précède s’installe au fil du temps, de façon très progressive et donc souvent imperceptible. Et puis arrive la confrontation de réalités totalement différentes. Quelle qu’en soit la forme, elle est toujours violente et déstabilisante le temps de prendre conscience de ce qui est perçu comme un revirement soudain mais en fait est un dénouement. Cette confrontation est aussi l’aboutissement d’un épisode de dissonance cognitive, la tension interne propre au système de pensées, croyances, émotions et attitudes (cognitions) d'une personne lorsque plusieurs d'entre elles entrent en contradiction l'une avec l'autre. Ici la tension entre la loyauté et l’ambition.
La seule alternative à la fin de la relation est l’acceptation des conditions de son maintien. Toutefois celles-ci augurent d’une relation différente en tous points, et dans laquelle un rapport de force vient se substituer à un rapport de confiance. La séparation est stratégiquement préférable à l’acceptation, dans tous les cas de figure ; pourtant cela n’apparaît pas comme tel au premier degré. En réalité, « Iznogoud» a déjà muté et le duel qu’il impose ne peut avoir d’issue favorable. La menace de démission est en fait un chantage, et l’on sait depuis toujours que céder à un chantage est une erreur qui ne pourra que se renouveler.
En retro analyse, la genèse du syndrome apparaît comme une stratégie échappant à son auteur. Il entre dans une logique de reconnaissance infinie de sa valeur, et perd en lucidité ce qu’il gagne en témoignages d’estime. Il s’agit de pléonexie, le besoin de « toujours plus » et de « plus que les autres » .
Personne n’est à l’abri de ce syndrome, ni les « Iznogoud » potentiels, ni leurs boss.
Peut-on le prévenir ? Probablement, en étant très attentif aux signes de distanciation / éloignement, mais plus la relation a été positive et durable, plus ces signes sont minimisés dans leur importance.
Ce ne sont pas les gens qui changent, mais les situations qui les font changer. Celles-ci tiennent aux représentations qu’ils s’en font, la lecture qu’ils en ont, et elle est très souvent influencée par des proches éloignés de la relation en cause.
En résumé, il existe deux degrés de syndrome. Le plus élémentaire est formé par le besoin infini de reconnaissance (valorisation, rémunération, exceptions / avantages particuliers), évoluant parfois, mais pas toujours, vers le besoin de devenir Calife à la place du Calife.
L’intérêt de la connaissance de ce syndrome réside dans le fait selon lequel en appliquant les principes tant ressassés du « bon » leadership avec des collaborateurs de talent (autonomie, reconnaissance, responsabilisation, confiance) on risque in fine de produire l’effet inverse du but recherché.
Du point de vue d’« Iznogoud» , il est irréprochable et sa loyauté ne saurait être mise en cause. Sa légitimité est totale, et ses exigences lui paraissent justifiées. D’ailleurs, lorsqu’il les présente, il ne fait aucun doute pour lui qu’elles sont non seulement acceptables mais que l’alternative « démission » est une clause de style. Il ne lui paraît aucunement plausible que cette alternative soit sérieusement envisagée par son boss. Or, ce qui est improbable reste toujours possible.
Bien cordialement,
Gérard-Dominique Carton