Groupe Gérard Carton
La passion des solutions

Interview de Madame Jennifer MERCADAL-WENDLING

Le Groupe Gérard Carton vous propose tous types de lectures, longues ou brèves, souvent teintées d'humour mais toujours sérieuses...

• Comment devient-on Directrice de la Vie Sociale, coopérative et RSE d’un Groupe important comme le Crédit Coopératif ?


Il y a quelques années, une collègue avait partagé avec moi son étonnement et son émotion de s’être entendu dire par un dirigeant, vous avez deux défauts, premièrement vous êtes juriste et deuxièmement vous êtes une femme.
Aujourd’hui on pourrait en sourire tant ces propos paraissent moyenâgeux ; il est pourtant encore possible que, dans certaines organisations, être une femme soit plus pénalisant qu’être juriste lorsqu’il s’agit d’accéder à des responsabilités importantes.
Ruth Bader Ginsburg est la seconde femme nommée Juge à la Cour Suprême des États-Unis, en 1993, depuis sa création. La question lui a été posée de savoir, selon elle, combien il devrait y avoir de femmes Juges siégeant dans cette cour. Elle a répondu « Neuf » . Le nombre total de sièges. Devant l’étonnement et l’incrédulité de l’interviewer, avec un sourire, elle ajouta : « La Cour suprême des États-Unis a été constituée de neuf hommes depuis 226 ans, et cela n’a interpellé personne… » .
En 2013 les femmes représentaient 48% de la population active française alors qu’elles n’étaient que 14% à occuper des postes de direction. Les femmes représentent la moitié de l’humanité elles ont donc toute leur place dans les postes à responsabilité, et curieusement, il apparaît qu’elles ont eu plus d’accès aux plus hautes responsabilités dans l’antiquité et jusqu’au XVIIIe siècle qu’à partir de la révolution industrielle.
Certains stéréotypes sont encore vivaces, masqués derrière des discours politiquement corrects, et il est du devoir de tous de les combattre activement. Pour cela il faut commencer dès les plus jeunes âges. L’éducation des enfants, garçons et filles est à la base de l’éradication des stéréotypes qui portent ensuite des préjudices certains aux possibilités de carrières des unes et des autres. Je reviendrai sur cette idée…
Pour répondre à votre question, on devient Directrice de la vie Sociale d’un groupe quand on en assume l’ambition et que l’on croise le chemin de Dirigeants qui ne s’occupent pas de votre genre, mais de vos compétences et vous font confiance. Cela a été mon cas.

• Qu’est-ce que l’accès des femmes aux postes de Direction a changé, change ou changera dans le monde des Entreprises ?


Je crois que l’accès des femmes aux postes de direction réduit la portée des stéréotypes sur les hommes et les femmes. Plus il y a de femmes qui accèdent aux responsabilités, plus les stéréotypes perdent du terrain, car la réalité s’impose. Il n’y a pas de métiers d’hommes ou de femmes, il n’y a pas de statuts réservés aux hommes ou aux femmes. Il n’y a que des personnes avec des compétences, des passions, des ambitions et du travail. Il est bien évident que la diversité des profils et des genres est une richesse.
S’il existe des qualités dites féminines ou masculines, elles ne sont pas forcément propres aux femmes ou aux hommes. Nous avons tous une part de féminin et de masculin.
Je ne crois pas vraiment au distinguo sur le genre dans l’évaluation des performances, des potentiels et des compétences.
Toutefois, on s’accorde à observer que les femmes doivent souvent en faire « plus » que les hommes pour accéder aux responsabilités managériales, et qu’elles sont plus portées vers le management collaboratif, la transparence et la transversalité que beaucoup d’hommes. Elles ont moins le sens et le besoin de « territoire » .
Si les valeurs dites féminines existent, elles se répandront par la féminisation des postes de direction, mais c’est avant tout ces valeurs qu’il s’agit de défendre et non leur genre.
Enfin si les femmes accèdent à ces postes cela peut engendrer des relations plus apaisées du fait d’une plus grande mixité. La parité est l’un des garants d’une certaine forme de paix sociale.

• Comment augmenter durablement la conscience d’accès aux responsabilités des femmes ?


Si j’émets des doutes quant à une façon spécifique de manager, entre hommes et femmes, je suis en revanche convaincue que les femmes doivent surmonter un certain nombre d’obstacles qui sont des freins personnels ou sociétaux.
Les freins personnels sont par exemple le syndrome de la bonne élève ; elles travaillent beaucoup et sérieusement puis attendent qu’on vienne les chercher, car elles ont été efficaces et consciencieuses. Malheureusement cela ne se passe généralement pas ainsi en entreprise. Il faut se manifester, faire savoir que l’on souhaite une promotion et communiquer davantage sur ses compétences et accomplissements.
Trop souvent elles n’osent pas. Elles se posent trop de questions avant de briguer un poste à responsabilité, car elles craignent de ne pas être à la hauteur ou de se montrer présomptueuses. Une majorité d’hommes ne se posent pas tant de questions.
Beaucoup de femmes s’autocensurent et pratiquent peu l’autopromotion. Elles devraient admettre qu’elles ne peuvent pas tout faire parfaitement et accepter non pas de devoir faire mieux, mais aussi bien que des hommes.
Les femmes font également face à un certain nombre de freins sociétaux. Bien que nous constations des progrès quant au statut des femmes nous assistons également à une certaine forme de recul des droits des femmes. Les violences faites aux femmes, le retour à la pudeur et au contrôle du corps des femmes, une plus grande difficulté au recours à l’avortement dans certains pays où cela est légal, le nombre de femmes au sein du secteur informatique ne cesse de reculer alors qu’elles étaient pionnières dans le codage…
Aujourd’hui encore trop peu de femmes étudient les matières scientifiques, car elles sont dissuadées par certains professeurs ou parce que les schémas de pensées les associent aux métiers du « care » .
Il ne faut pas considérer que les progrès réalisés sont acquis, une crise économique ou sociale permettrait un retour en arrière de façon assurée.
Tout cela est très long, car la distribution des rôles entre les hommes et les femmes organisent nos sociétés depuis toujours. Par exemple, au-delà de la sphère professionnelle, beaucoup de femmes acceptent une certaine forme de servitude volontaire (les tâches ménagères notamment) et au sein du milieu professionnel il n’est pas rare que des tâches telles que servir le café soit « naturellement » confiées aux femmes…
Il est à espérer que les jeunes générations effaceront ces rôles induits pour un partage équitable des tâches et devoirs familiaux et que beaucoup d’hommes cessent d’avoir le sentiment de « rendre service » lorsqu’ils participent. Ils doivent prendre leur part.
La conscience d’accès aux responsabilités des femmes viendra de la propension des femmes occupant des responsabilités. D’abord parce généralement elles ont moins de réserves que certains hommes à confier des responsabilités à des femmes, ensuite parce que leur présence dans des fonctions de direction est de nature à motiver des femmes qui n’oseraient pas, elles sont inspirantes et motivantes.
Je souhaite revenir sur la notion d’éducation.
À mon sens seules l’éducation dès le plus jeune âge, la pédagogie à l’égard des adultes et les lois pourront faire changer les choses. Il convient de cesser de surprotéger les petites filles, elles sont élevées avec une image de fragilité. L’éducation des filles développe peu l’ambition, l’ambition des femmes est mal vue, et dès qu’une femme est en position de décider elle est perçue comme autoritaire voire comme autoritariste.
En outre, il n’est pas rare que le pouvoir et la réussite des femmes dégradent leur image, car il est considéré qu’elles sacrifient alors leur vie privée et familiale. C’est un mauvais procès, et il n’est pas fait aux hommes dans les mêmes proportions.
Par principe je suis contre les quotas, car ils tendent à faire douter de la compétence de celles et ceux qui sont nommés (quel que soit le type de quota), mais je considère que c’est un mal nécessaire et temporaire. Tout comme les mouvements tels que metoo qui constitue un tournant grâce à une prise de conscience bien que cela ait provoqué des dommages collatéraux.
En synthèse, augmenter durablement la conscience d’accès aux responsabilités des femmes passe par leur prise de conscience que rien ne leur est impossible, encore moins « interdit » , qu’elles peuvent très légitimement exercer des responsabilités importantes autres que celles dévolues habituellement à leur genre, qu’elles ont aussi le droit à l’erreur, le droit d’être ambitieuses, et de porter des idées intelligentes. Elles ont aussi à accepter d’être imparfaites, parfois fatiguées, et à refuser de se plier aux stéréotypes dévalorisants de leur condition humaine.

• Quels grands principes guident vos décisions dans votre vie professionnelle ?


Les grands principes qui guident mes décisions sont l’implication dans ce que j’entreprends, l’auto-exigence et l’exigence, la loyauté, la rigueur et l’éthique. Parce que la notion de décision est indissociable du fait de prendre un risque et donc de parfois se tromper ou faire des erreurs, j’ai aussi pour principe de les assumer totalement.
Enfin, je m’efforce de toujours développer mon intelligence émotionnelle. Comprendre les personnes, les situations, amène à plus de justice et d’efficacité.

• Quelles qualités / compétences sont selon vous essentielles pour une dirigeante ?


La capacité à résister au stress et de garder en vue les grands objectifs me paraît essentielle. Pour cela il faut être capable de traiter un grand nombre d’information, en dériver du sens…
Il faut aussi être capable de remettre en cause ses intuitions, ses idées, et d’échapper aux dogmes. Ce que j’appelle l’intelligence du pouvoir alliée à l’humilité du savoir. Il faut continuer d’apprendre en permanence, et bien se garder de vivre sur ses acquis.
Ces qualités me semblent être celles d’un dirigeant efficient.

• Quelles qualités attendez-vous de vos collaborateurs directs ?


J’attends d’eux d’être impliqués dans ce qu’ils font et d’être déterminés à aller au bout des projets. J’apprécie qu’ils soient autonomes et qu’ils s’approprient totalement leur mission et leurs objectifs. J’attends de la loyauté, notamment celle consistant à me le dire lorsqu’ils pensent que je fais fausse route, en vraie transparence et que l’on puisse avoir une discussion constructive.
Enfin j’apprécie que mes collaborateurs soient solidaires. Solidaires entre eux pour s’entraider quand il le faut, solidaires dans l’adversité et aussi dans la réussite. Bref, j’attends d’eux de former et entretenir une équipe professionnelle et confiante dans ses engagements.

• Quels défauts vous inquiètent / interpellent ?


En premier lieu le narcissisme, car il est incompatible avec un fonctionnement en équipe, et qu’il s’accompagne du syndrome de vouloir toujours plus d’attention, de reconnaissance, d’estime et quelque part de complaisance. Les narcissiques ne sont pas en mesure de considérer et aimer les autres que soi. Y compris les clients. Ils sont des parasites de la bienveillance et souvent, des chronophages.
En second lieu une forme d’indolence, qui fait prendre les évènements avec distance, la charge avec circonspection, et qui dose les efforts en mode homéopathique.

• Comment gérez-vous votre « stress » dans l’exercice du management ?


Je suis sensible au stress, et il me gagne assez rapidement, car si j’ai conscience d’avoir le droit à l’erreur, je ne m’en autorise pas réellement, et je suis perfectionniste. Je place la barre très haut.
Concrètement et régulièrement, je marche dans la forêt de fontainebleau, au bord de l’eau dans la mesure du possible, je fais de l’hypnose et de la méditation et surtout je me rappelle constamment que ce qui ne tue pas rend plus fort.

• Comment gérez-vous celui de vos collaborateurs ?


Je m’emploie à rester à l’écoute, à rassurer et réévaluer le degré d’urgence des taches. La priorisation est une dynamique quotidienne dans l’équipe. Nous faisons régulièrement le point pour répartir les actions à mener en fonction de la disponibilité de chacun, des compétences et des urgences.
Je m’efforce d’être compréhensive sans pour autant diminuer l’exigence, et de trouver avec eux les meilleures solutions.

• Quels sont selon vous les critères révélant une bonne équipe de Direction ?


Une équipe de direction doit être solidaire, transparente, car la communication est l’une des clés du succès. Il est impossible de prendre de bonnes décisions en l’absence d’une bonne vision de la situation et d’un maximum d’informations. Les objectifs et instructions doivent être clairs afin de cadrer le travail des équipes. La reconnaissance de l’effort des équipes par les dirigeants est un facteur de motivation.
Une bonne équipe de Direction donne des ailes aux collaborateurs. Elle favorise l’initiative, l’autonomie, la responsabilité, et elle est reconnaissante des résultats et des accomplissements. Elle a confiance avec lucidité. Une mauvaise équipe de direction coupe les ailes.

• Qu’est-ce qui a le plus évolué, selon vous, dans le rôle des dirigeants ces dix dernières années ?


La société dans laquelle nous vivons se complexifie considérablement et rapidement. Les dirigeants doivent constamment se tenir informés des réformes légales, réglementaires et des avancées technologiques. Ils doivent être en mesure de prendre des décisions rapidement dans un contexte complexe.
Ils doivent aussi s’adapter aux évolutions sociales, tant celles qui concernent les collaborateurs que les clients. Les lignes de la norme sociale bougent en permanence, avec elles les échelles de valeurs et les attentes évoluent…
Comme l’a rappelé la Dirigeante de mon Groupe, « il faut aujourd’hui courir pour rester à la même place » .

• Qu’est-ce qui pour vous caractérise une situation « difficile » ?


Devoir agir dans la précipitation sans bien maîtriser le contexte est pour moi difficile. J’ai tendance à penser que la précipitation est mauvaise conseillère, et qu’il faut savoir être maître des rythmes. Toutefois, certaines situations imposent d’agir « immédiatement » .

• Qu’avez-vous appris au cours de votre carrière qui vous sert quotidiennement ?


Une chose un peu paradoxale… L’effort et la ténacité doivent aller de pair avec la capacité d’adaptation aux situations. Rien ne sert de confondre ténacité et entêtement.
Une seconde chose m’apparaît aujourd’hui évidente : le plaisir, la satisfaction du travail fait, bien fait est une source infinie de motivation. Aimer travailler et aimer son travail est une chance formidable.
Une troisième chose : la vie professionnelle est faite de rencontres. J’ai eu la chance de rencontrer deux femmes brillantes et inspirantes qui m’ont fait confiance et m’ont donné la liberté de faire mes preuves. Cela compte dans une carrière professionnelle. J’ai beaucoup appris et continue d’apprendre à leur contact ; j’ai découvert des capacités que j’ignorais et qu’elles avaient perçues en moi.
Oui, je crois aux rencontres et aux mentors qui structurent un parcours professionnel. Je fais partie de celles et ceux qui s’inspirent des personnes remarquables et de l’exemple qu’elles donnent pour grandir.

• Quels mots / pensées associez-vous aux mots suivants :


Tableau

Avez-vous une anecdote à partager ?


Oui, elle n’est pas très ancienne… Je venais d’être informée que l’on me confiait de nouvelles et additionnelles responsabilités. J’en étais très heureuse et j’ai remercié chaleureusement, ajoutant que je m’engageais à être à la hauteur du challenge. « Je n’ai aucun doute et suis sûre que tu réussiras » a été la réponse. Ce n’était pas une formule toute faite ; la sincérité évidente de cette réponse, le regard bienveillant et droit dans les yeux de mon interlocutrice m’a véritablement donné confiance en moi par son aspect rassurant et confiant. Je m’attache à être aussi vraie et sincère que cela dans mes rapports avec mes interlocuteurs.

Propos recueillis par Gérard-Dominique Carton

Président GCCG


Novembre 2018