Publié dans La Lettre du GCCG - Réflexions et humanisme
Au cours des années 70, une réserve d’éléphants au KENYA était une telle réussite qu’elle se trouva en état de surpopulation. La décision prise par les autorités fut, pour résoudre le problème, de faire abattre les éléphants les plus vieux. Deux ans après que cette décision fut exécutée, une grave sécheresse sévit. Presque tous les éléphants moururent. Seuls les anciens savaient où trouver les points d’eau lors de période de sécheresse et comment y survivre. Aucun des « jeunes » n’avait été confronté à cette situation. Aucun ne savait. Lors du passage à l’an 2000, pour ne citer que cet exemple, nombre d’entreprise se sont félicitées d’avoir pu faire appel aux « vieux éléphants » qu’elles avaient envoyés à la retraite quelques années auparavant et qui seuls savaient encore travailler des lignes de code en cobol ou en fortran.
Notre Groupe a récemment conduit une enquête auprès de personnes partie à la retraite. Quelques extraits méritent d’être cités.
« J’ai vécu mon départ comme une exécution, un rejet. Les mois précédant mon départ à la retraite étaient un cauchemar, j’avais le sentiment d’être un zombi, la plupart des gens autour de moi étaient plutôt gentils, à part quelques jeunes excités qui semblaient trouver que j’aurais mieux fait de rester chez moi. Mais cette gentillesse avait quelque chose de blessant et de pénible. Je prenais en même temps que les autres la dimension du côté éphémère de ma présence dans l’entreprise…. Je n’avais plus d’utilité réelle, de légitimité réelle ; je ne pouvais ignorer une certaine complaisance eu égard à mon statut de « transitaire », mais mon avis n’était, dans le meilleur des cas que poliment écouté. Je ne faisais plus partie du futur, et n’était, dans le présent, que toléré… Et lorsque j’avais le mauvais goût de faire référence au passé, je pouvais lire dans les yeux de mes interlocuteurs une certaine irritation, voire un certain dédain. J’étais un « has been » et c’est terrifiant. »
« J’ai eu et j’ai encore le sentiment d’avoir été enterré vivant. Un jour, brutalement, je suis passé d’un cercle à un autre. J’étais de moins en moins sollicité pour participer à des réunions de travail, donner mon avis ; et puis j’ai eu mon « pot de départ », malgré le côté débonnaire, où chacun venait me féliciter et me traiter de veinard, dans leurs yeux, dans leur cœur, je n’étais déjà plus là. On a courtoisement rappelé ma contribution, exprimé combien « je manquerai à tous », mais personne n’a entendu que je ne souhaitais pas partir, laisser ma place, que j’avais encore des choses à dire, des choses à faire. On n’avait plus besoin de moi. Je devais avoir l’hypocrisie de me montrer satisfait de pouvoir me reposer… Et pourtant, je n’étais pas fatigué…Maintenant je le suis tout le temps. »
« J’ai le sentiment d’avoir gâché une grande partie de ma vie. Pendant plus de trente ans, j’y ai cru, je me suis totalement investi, j’ai progressé, avancé, géré des crises, des moments difficiles, pris des risques… Ma famille suivait mes états d’âmes, supportait mon obsession du travail, participait de loin à ma vie professionnelle. Je ne lui ai jamais réellement consacré du temps et de l’attention. Je n’imaginais pas un instant que je pourrais quasiment du jour au lendemain devenir « inutile », que l’on pourrait se passer de moi au facilement. J’aurais dû consacrer plus de temps à ma famille, aujourd’hui mes enfants travaillent, ils sont occupés, il n’ont guère de temps pour moi, et je suis vraiment dépité de les voir faire la même erreur que celle que j’ai faite. Nous n’aurons fait que nous croiser, à contretemps. »
« Ce que j’imaginais comme un aboutissement heureux n’a été qu’un instant, depuis c’est le vide. Jeune, je ne pensais pas à la retraite, c’était un concept. Et puis c’est arrivé très vite. Ces dernières années je me suis mentalement préparé. Je m’étais fixé un but, j’y parvenais. Tout allait bien. J’avais même prévu de « transférer mon savoir » et préparé ma succession. Je ne l’ai pas bien fait. Les jours ont passé, et chaque jour s’alourdissait d’une certaine nostalgie, l’avenir n’était plus au rendez-vous, mon départ devenait attendu. Une certaine tristesse empêchait tout dynamisme.»
Qu’aurez vous à dire lorsque vous serez parti en retraite ? Comment les collaborateurs de votre entreprise vivent-ils les semaines et les mois qui les séparent de cet évènement? Que fait votre entreprise pour valoriser la contribution des « seniors » avant leur départ ? Que fait votre entreprise pour que leur carrière ne se termine pas sur une fausse note ?
Si l’on accordait autant de soin à la mise à la retraite que l’on en apporte au recrutement, bien des vies garderait un sens, bien des valeurs gagneraient en authenticité, bien des entreprises s’en porteraient mieux.
Gérard Carton