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Publié dans La Lettre du GCCG - Divers

Être unique et conforme. Un challenge ?
La pression normative est une force spontanée s’exerçant sur les individus appartenant à un groupe.
Elle est la matérialisation de la culture se dégageant de la réunion des personnes ; la culture est la somme des enseignements partagés par les individus composant le groupe.
Plus ces enseignements sont nombreux et complexes, plus la culture est forte et dans le même temps, exclusive des personnes n‘en maîtrisant pas l’essentiel et n’obéissant pas à la pression de conformité.
Pour être « intégré » dans un groupe, il faut en connaître les conventions implicites, les respecter, les appliquer et y tenir le rôle que le groupe assigne.
Ce rôle est conventionnel et peut soit laisser un espace d’expression dissonante, soit au contraire exiger une conformité totale.
Par exemple, il est attendu d’un artiste qu’il « surprenne » et soit en dissonance sur les « règles » de conformité. Serge Gainsbourg, en France, a été un modèle de dissonance « voulue » par la société, comme le sont les personnes dont le rôle est précisément de « faire bouger les lignes ».
Dans le monde de l’entreprise, on attend plus ou moins de dissonance selon les métiers. On en attend peu ou pas des comptables et beaucoup des personnes du marketing. Par convention, on appelle la dissonance « originalité » « singularité » « créativité », voire « innovation ».
Lorsque l’on demande aux managers d’être « exemplaires », on leur enjoint paradoxalement de modéliser des conventions implicites fondées sur des valeurs essentiellement morales et de produire des comportements de nature à inspirer positivement leurs collaborateurs.
La sociologie nous enseigne que les grands groupes (par exemple l’ensemble des citoyens d’un pays), exercent une pression normative forte et que pour y échapper, des sous-groupes se forment par affinité de valeurs. Ce sont les « minorités ».
Ainsi naissent des bulles culturelles, des castes, des classes, des clans, des « miro-sociétés » qui construisent un système identitaire de valeurs. Ces sous-groupes exercent une pression de conformité d’autant plus forte qu’ils sont volontairement en marge de la culture « générale » du grand groupe.
Par exemple, les amish aux États-Unis, en réaction au modernisme, ont développé une culture identitaire particulièrement contraignante pour leurs membres, allant du style vestimentaire à tous les actes de la vie courante.
Chaque groupe développe une culture et implicitement exige que ses membres s’y conforment. Ainsi, ce qui est conforme est « bien » et ce qui est non conforme est « mal ».
Le bien et le mal sont des notions relatives et culturelles. Ceci explique de nombreux différends et conflits. Ils naissent de la certitude culturelle attachée à la notion de bien ou de mal qui d’une culture à l’autre sont parfois diamétralement opposés.
Par exemple, dans certaines cultures il est « bien » de condamner à mort et exécuter un criminel, dans d’autres c’est « mal ».
Dans certaines entreprises il est « bien » pour un manager de contrôler de près ce que font ses collaborateurs, dans d’autres, ce qui est « bien » est de leur laisser une large autonomie.
Ceci amène directement au sujet de l’entreprise libérée dont on nous parle beaucoup et de plus en plus.
Entreprise libérée de quoi ?
De conventions qui aujourd’hui paraissent inadaptées pour assurer la performance de l’entreprise et en particulier d’un principe qui a jusqu’alors été au cœur du fonctionnement de la plupart des entreprises, l’autorité hiérarchique.
Sociologiquement, cela signifie qu’une majorité de personnes formant un groupe suffisant pour exercer une nouvelle pression normative remet en cause des pratiques, des comportements et des valeurs qui jusqu’à présent constituaient une norme culturelle.
L’autorité hiérarchique, apanage du management devient « mal », à commencer par celle du management dit de proximité ou intermédiaire.
Les « jeunes » ont depuis quelques générations appris que l’autorité est contestable, et, de fait que, lorsqu’elle est contestée elle diminue. L’autorité est un concept, mais aussi un mythe. Ce qui existe, concrètement, n’est pas l’autorité, c’est la soumission.
Quel que soit le statut de celui qui fait acte d’autorité, le simple fait de ne pas s’y soumettre la rend inopérante. En dehors du monde militaire, la seule « autorité » qui fonctionne encore (et de moins en moins), est l’autorité judiciaire. La loi oblige à s’y soumettre. Refuser cette autorité est susceptible d’entraîner des sanctions pouvant être lourdes et pénibles. Certains le font néanmoins. Dans le monde de l’Entreprise le dialogue, l’écoute, l’empathie, la considération, le respect, prennent de plus en plus d’importance, et le management intermédiaire peut de moins en moins appliquer le règlement du chef par lequel il a toujours raison.
L’introduction des règles de la démocratie se fait progressivement, dans certains secteurs de l’économie, notamment le secteur coopératif où la structure de gouvernance comprend de nombreux « non-chefs ».
Un homme une voix, et des décisions prises à la majorité, sont des principes qui s’infiltrent dans le monde de l’entreprise. Cela change considérablement la donne du pouvoir. La hiérarchie de compétences se substitue à la hiérarchie statutaire.
La démocratie fait son chemin sinon dans les esprits au moins dans les pratiques.
Il est donc probable que le monde de l’entreprise va, comme le reste du monde, se scinder en deux tendances évidentes, à l’instar du monde politique ; il y aura les entreprises tendant vers la « démocratie » et les entreprises tendant vers « l’absolutisme ».
En France, le Code du travail est fondé sur et régit par, le rapport hiérarchique entre employeur et employés.
Alors que l’on parle de le réformer, une vague de protestation venue des jeunes secoue la mer de la négociation paritaire. Ceux qui, lorsqu’ils seront embauchés, ne voudront pas de l’autorité hiérarchique sont ceux qui aujourd’hui se battent pour maintenir le principe fondateur et régulateur du lien de subordination.
De la discussion naît la lumière ; celle sur les fondements de la performance des managers et au-delà des Entreprises, nous éclairera-t-elle un jour ?

Très cordialement

Lettre du GCCG - Avril 2016 - "Libération"