Scotome

Le scotome est une altération ou perte de la vision dans une zone limitée du champ visuel. Longtemps réservée aux ophtalmologistes, la dénomination de cette anomalie de vision fait son chemin dans le lexique managérial.

Il s’agit là d’identifier ce que vous ne voyez pas, mais qui existe dans votre organisation, votre équipe rapprochée et au-delà.

Quel que soit votre statut managérial, manager dit de terrain avec une petite équipe ou dirigeant d’un ensemble, il est très possible que vous soyez sujet à un scotome. Il existe des pensées, des idées, des ressentis, des griefs, des désaccords, avec votre perception de la vie professionnelle dans votre équipe ou votre Entreprise dont vous n’avez aucune idée.

Plus vous êtes haut placé dans l’organisation, plus il y a de chance pour que le scotome soit présent.

Au niveau de la Direction générale, il se matérialise par un décalage de vision sur ce qu’il conviendrait d’appeler la « réalité » de l’Entreprise et dont découlent les objectifs, mais aussi les valeurs opérationnelles, le fonctionnement au quotidien, le traitement des problèmes, des difficultés, mais aussi des projets, des « plans ».

Au niveau du management intermédiaire, il se traduit par un décalage dans les priorités, le sens de l’urgence, la qualité du travail, la coopération à l’intérieur et à l’extérieur de l’équipe.
Vous est-il arrivé d’être confronté à un événement que « vous n’aviez pas vu venir » ? Bien sûr…

C’est ce qui caractérise la présence antérieure d’un scotome. Qu’il s’agisse du dérapage de la deadline d’un projet ou de son budget, voire des deux, de la démission d’un collaborateur, de la perte d’un client majeur, d’un mouvement

social soudain, ce que vous n’avez pas vu venir était fondamentalement prévisible, mais échappait à votre vision de la réalité.

Pourquoi ?
Parce que l’on ne vous dit pas tout.
Les présentations en réunion, les PowerPoint descriptifs, les prévisions, les analyses, même les discussions en « off », cachent de petits secrets, ceux qui matérialisent les désaccords, la distance, les réserves.
Les inconforts, les irritants, les sources anxiogènes, les peurs, les doutes, les réflexions pessimistes sont masqués et s’ils sont évoqués c’est très souvent au deuxième degré ou de façon totalement implicite.

Pourquoi ?
Parce que la plupart des gens :

• Ne sont pas prêts à prendre le risque de dire « ce qui ne va pas pour ou selon eux » ou d’exprimer leur désaccord à leur boss.
• Préfèrent dire à leur boss ce qu’ils savent ou pensent qu’il a envie d’entendre (même s’ils se trompent à ce sujet)
• Attendent d’être au pied du mur pour faire état de ce qui ne va pas
• Subissent la pression normative amenant à s’exprimer en accord avec ce qui vient du haut, même si tout bas ils sont en désaccord.

La peur de déplaire est plus forte que l’envie d’être sincère.

En outre il est souvent observé que le « boss » a de bons arguments pour présenter sa vision, les objectifs, et qu’il a cette « force » qui amène les collaborateurs à dire « oui » alors même qu’ils ont des réserves ou des doutes.

Quelques recommandations :

• Ne vous demandez pas si vous êtes victime d’un scotome. Soyez-en sûr.
• Posez-vous la question « qu’est-ce que je ne vois pas que je devrais voir » ?
• Alternativement, « quelles sont les réserves, décalages de vision qui peuvent exister entre mes collaborateurs et moi » ?
• Pour les identifier, en parler avec eux, individuellement (cela élimine la pression normative), à partir de cette question « qu’est-ce qui risque, dans nos projets / objectifs/ plans, de dysfonctionner » ?
• En parler en posant des questions, de plus en plus spécifiques, écouter les réponses, aller dans leur sens (s’interdire de contre-argumenter), le faire de sorte que jamais vos interlocuteurs ne se sentent en accusation, mais au contraire se sentent utiles et entendus.

Pour éliminer les scotomes, il est nécessaire d’être prêt à entendre ce que l’on n’a pas envie d’entendre, de voir ce que l’on n’a pas envie de voir.

Communiquer sa vision est un point de départ, s’assurer qu’elle est comprise, intégrée, et qu’il y est adhéré est un travail constant. La rabâcher est une erreur, la profiler est efficace.

Profiler sa vision, c’est accepter de la discuter, sur le fond.

Dans mes rencontres avec des dirigeants, il ressort souvent qu’ils considèrent comme essentiel d’avoir du plaisir à travailler. Ils en ont le plus souvent.

Dans mes rencontres avec le management intermédiaire, il est rare que spontanément le « plaisir de travailler » soit évoqué, et cela encore moins par les collaborateurs en dessous d’eux, dans les organisations.

Sans vouloir faire un raccourci simpliste, demandez-vous si le plaisir qui est le vôtre est partagé par vos collaborateurs, et faites-en sorte de le mesurer réellement. Il est possible que vous ayez une surprise…

Cette surprise est directement proportionnelle à l’étendue du scotome qui est le vôtre…

La réalité de la réussite d’une Entreprise repose à la fois sur le plaisir ressenti par tous ses collaborateurs à faire leur travail, car il est le principal générateur d’enthousiasme, et il faut beaucoup d’enthousiasme dans une organisation pour qu’elle transcende l’adversité toujours présente dans un monde concurrentiel.

Le plaisir à travailler naît du sentiment d’utilité, de compétence et de reconnaissance de sa contribution. Le point d’entrée de l’identification d’un scotome est là.

Très cordialement,

GDC